"Le vignoble ne veut pas être victime collatérale de la dissolution de l’Assemblée Nationale"
La fenêtre de tir pour obtenir l’aide à l’arrachage européen en 2024 se réduit dangereusement avec les élections législatives anticipées prévient Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons de France. Qui constate que les demandes portées par la filière vont repartir en arrière après des avancées précédemment actées.
L’annonce surprise de la dissolution de l’Assemblée Nationale ce dimanche 9 juin par le président de la République, Emmanuel Macron, ajoute-t-elle du flou au flou pour une filière vin en demande de soutien d’urgence ?
Jean-Marie Fabre : Il faut distinguer l’annonce de la dissolution, qui semblait se dessiner, et s’arrêter sur les résultats européens, qui sont désormais connus. Il se jouait dimanche la façon dont l’assemblée européenne serait dessinée et on voit qu’il n’y a pas de grand changement pour la coalition majoritaire (PPE/droite conservatrice/centristes), mais on a bien vu un signal "stop" pour qu’il y ait en Europe moins d’incantation, moins de dogmatisme… Ceux qui sont les plus perdants dans l’élection européenne sont ceux qui ont imposé des injonctions écologistes ne pouvant pas s’appliquer. C’est la fin de la doctrine dogmatique de certains idéologues qui ont affaibli la souveraineté économique, énergétique et alimentaire de l’Europe, mais aussi l’activité de nos secteurs.
Au niveau français, la dissolution de l’Assemblée Nationale va redessiner fortement le paysage politique. Les Vignerons Indépendants ont une attente : que les hommes et les femmes qui vont s’engager très rapidement pour être élus demain se mobilisent vite pour faire avancer les politiques dont ils auront la charge. Quelle que soit demain la photographie et la couleur des élus demain, il faut qu’ils engagent rapidement les réformes de notre pays au service d’un secteur de performance actuellement fragilisé.
Où va-t-on sur la loi d’orientation agricole, les négociations européennes sur l’arrachage, les demandes d’aides du vignoble… ? Demandez-vous aux candidats des élections législatives du 30 juin de s’engager pour un pacte Dutreil pour la transmission du foncier viticole, la pérennisation du TO/DE, la sanction des friches, la révision de la moyenne olympique, la zone tampon avec les nouvelles habitations... ?
La dissolution nous met à mal sur deux sujets. D’abord le projet de loi d’orientation agricole (PLOA), qui avait été retardé pour être enrichi. Même si nous n’étions pas totalement satisfaits à l’Assemblée, nous trouvions des échos favorables au Sénat sur la transmission, les Zones de Non Traitement (ZNT) et l’impôt de production pour mieux protéger le métier et la viticulture. Aujourd’hui, ce débat s’arrêtera là : il n’y aura pas de navette possible entre le Sénat et l’Assemblée. Ça met un coup d’arrêt net au PLOA attendu de tous et qui devait donner un cap aux prochaines orientations budgétaires. Il faudra retravailler le sujet à l’Assemblée, revenir au Sénat et ensuite l’entériner… Cela aura du mal à s’instaurer avant l’automne prochain avec les vacances parlementaires, les Jeux Olympiques…
Il était aussi question que le PLOA oriente le projet de loi de finances pour 2025 (PLF 2025) pour l’exonération du travail saisonnier (TO-DE), la transmission du foncier avec l’abattement du pacte Dutreil, la suppression de l’impôt de production (ici la Taxe sur le Foncier Non Bâti)… Le PLF ne pourra pas venir donner du contenu au PLOA. C’est un cout d’arrêt après les engagements pris. On va repartir au filet.
Pour les ZNT et le transfert des zones transitoires aux aménageurs, il était prévu un plan phyto pour la fin de l’été, la rentrée. Quelle sera la volonté portée par le prochain gouvernement ? Est-ce quelle va s’éteindre ou est-ce que le prochain gouvernement la reprendra ? C’est un vrai coup d’arrêt dans l’échéancier législatif que nous avions parfois subi et dont nous attentions beaucoup pour définir l’agriculture.
Quel est l’autre sujet mis en difficulté par la dissolution ?
Il s’agit de la réduction du potentiel de production viticole, l’arrachage définitif/temporaire. Nous espérons que les négociations informelles entre le cabinet du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, et la Commission européenne seront menées à bien avant le deuxième tour des législatives, le 7 juillet. Les discussions se sont largement affinées et je souhaite que l’on puisse mettre à profit les trois semaines avant le premier tour pour entériner début juillet la demande formelle de réduction du potentiel viticole. On serait dans les clous pour tenir le calendrier prévu d’une mise en œuvre le 15 octobre 2024. J’encourage le ministre Marc Fesneau à faire rapidement une demande officielle de réduction du potentiel de production pour tenir les délais. Nous n’avons pas de temps à perdre sur ce sujet. La Commission risque de fonctionner de manière atone le temps que ses directions se redessinent et qu’il y ait une présidence renouvelée. Il ne faut pas que le temps politique français vienne fracasser les demandes d’arrachage. Il y a urgence à ne pas perdre une seconde pour concrétiser tout le travail mené dans le sens des besoins de la filière.
Le risque existe donc que l’arrachage demandé depuis des mois par le vignoble loupe la fenêtre de tir pour être valide d’ici la fin d’année…
La filière a déjà été la victime collatérale des taxes Trump, de la crise sanitaire, de l’inflation avec la guerre à nos portes, du dérèglement climatique… Nous serions maintenant victime collatérale du temps politique alors que nous n’étions pas loin d’aboutir sur plusieurs sujets. Et alors que les enjeux climatiques et géopolitiques nous imposent d’avancer. Autant sur la PLOA on va constater que l’on s’arrête là, autant il faut que Marc Fesneau s’engage à demander formellement la réduction du potentiel de production auprès de la Commission pour acter une réponse d’ici les législatives et être dans les clous. Sinon, ça serait catastrophique.
Où en sont les sujets sur la gestion administrative des friches et la moyenne olympique de l’assurance climatique ?
Le sujet des friches devait normalement être débattu lors de la révision du plan Ecophyto. Il est donc en suspens, comme le reste. Pour le volet assurantiel, il dépend de l’Europe. Qui doit protéger la filière avec la performance de l’assurance multirisque climatique (en modifiant la référence historique) et un vrai grand plan d’accompagnement et de prévention des aléas climatiques (avec des aides à l’investissement complétant les dispositifs nationaux).
On en oublierait que les élections européennes viennent d’avoir lieu : quels sont les messages aux eurodéputés nouvellement élus pour les Vignerons Indépendants ?
Il faut maintenant que ce parlement se mobilise rapidement pour protéger et renforcer l’Europe avec l’accompagnement du Conseil et de la Commission. Pour la filière, il faut la protéger contre le changement climatique, renforcer son ancrage territorial, sa compétitivité, sa performance et sa capacité commerciale… Le nouveau parlement devra traduire dans des actes l’ensemble des processus de simplification demandés depuis des mois et dont on vient de voir l’évolution sur l’aide de minimis (avec un plafonnement passant de 20 à 37 000 €). Et gardons en tête que la prochaine réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) doit permettre d’intégrer dans son règlement de base des outils répondant aux crises climatiques, économiques et géopolitiques que nous affrontons.
La filière perd des personnalités engagées, comme Irène Tolleret qui ne s’est pas représentée (liste Renew) ou Anne Sander qui n’a pas été réélue (Les Républicains). Elles étaient des alliées de tous les instants, par leur honnêteté et leur intégrité. Nous allons recontacter tous les élus, la dissolution renforce ce besoin d’être très rapidement en relai des besoins du secteur. Notamment pour le dossier de réduction du potentiel de production. J’encourage les parlementaires européens à ce que la Commission réponde rapidement à ce dossier, avant que la période de somnolence touche l’administration européenne.
Source Vitisphère
Par Alexandre Abellan Le 11 juin 2024
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